
Ma maman a toujours eu l’élégance française et la classe congolaise. Chez moi la mama est extrêmement respectée, être une maman c’est être bénéficiaire d’autorité, de force, de sagesse…
En France le cliché visuel de la mama africaine est unilatéral. Il est d’ailleurs forcément faux puisqu’il nie l’existence de différentes cultures sur le continent africain. Je refuse de laisser cette expression tomber du côté négatif, car nos mamas africaines dans leurs pluralités sont pleines de sagesses, de forces et tellement belles.
Alors j’ai décidé de créer le projet Fancy mama.
Fancy mama est un projet artistique qui porte mes revendications et mes héritages culturels. Aujourd’hui c’est bien plus qu’un projet, c’est ma façon de créer.
Depuis que je suis maman j’aime m’appeler Maman la photographe. En effet au Congo on commence souvent à appeler une femme « maman » lorsqu’elle devient mère. Mais le mot Maman est aussi utilisé comme marque de respect et d’affection. En me nommant ainsi, je me confère le statut de photographe expérimentée.
Fancy veut dire « chic » en anglais, en hommage au Congo Brazzaville le pays de la sape je me devais de l’inscrire dans le titre de mon projet.
L’idée de Fancy mama a commencé à fleurir dans ma tête lors de mon dernier voyage au Congo Brazzaville. Un jour, confinée dans mon appartement j’ai décidé de recréer chez moi les studios des années des indépendances. En repensant aux histoires folles de ma grand-mère et aux photographies des célèbres artistes congolais et congolaises qui ont bercés mon enfance. J’ai alors fabriqué la première photographie de ce projet. Quel beau hasard sur cette photographie j’étais enceinte mais je ne le savais pas encore.

Fancy mama c’est l’inspiration des mamans congolaises de leur classe en toute situation, de leur beauté mais aussi de leur créativité. Mais Fancy mama c’est aussi et surtout un combat, celui de montrer la « mama africaine » autrement. Je suis la version 3.0 d’une mama congolaise, bien évidement la version 1.0, ma grand-mère est inégalable mais en me transmettant ma culture elle a conservé une partie de son matrimoine en moi.
Château Rouge est un lieu important pour ce projet. C’est le lieu de Paris où l’on croise des mamas de tout horizon. Château Rouge est mon quartier préféré de Paris, c’est le quartier où j’allais acheter du gombo, du manioc et des bananes plantins pour la maison. Château rouge c’est le lieu où je vais acheter des pagnes pour faire coudre mes tenues. Ce quartier de Paris fait partie intégrante de moi, alors j’étais obligé de m’immortaliser devant les magasins de mon enfance. Château Rouge c’est aussi le quartier de la convivialité, lorsque j’ai décidé d’organiser le Journée Internationale de la Femme Africaine. J’ai immédiatement été déposé des affiches et chercher de l’aide à Château Rouge pour ma communication. Une journée à déposer des affiches, parler de politique, de militantisme, de panafricanisme, à jouer avec mon fils. Cette journée m’a rappelée pourquoi Fancy mama était là.

Transmettre à mon fils les différentes cultures congolaises, c’est essentiel pour moi. À travers mon éducation j’essaye également de le sensibiliser au panafricanisme afin qu’il puisse comprendre que le continent africain est très grand et diversifié mais qu’il a aussi des problématiques communes.
Toutes mes photographies sont des objets de recherche. Je passe des journées dans les archives, les articles, les revues scientifiques pour aborder une thématique en image. C’est ma partie médiation scientifique (car je suis médiatrice scientifique de formation), j’utilise les sciences pour créer et mon art comme médium.

Les mamans de mon entourage ont toujours été des bosseuses invétérées. Chez nous être maman n’est absolument pas incompatible avec le fait d’être active bien au contraire. Alors même si la société française n’est pas adaptée pour une maman qui travaillerait avec son enfant, je fais tout avec bébé. J’essaye de monter ma carrière artistique avec lui et surtout j’apprends et je découvre à ses côtés.
Je vous laisse donc entrer dans mon univers franco-congolais 3.0 à travers ces multiples photographies.

Le pagne (style wax) fait part entière de mon identité visuelle bien qu’il s’agisse malheureusement d’un vestige colonial. Je récupère des pagnes de tout le monde depuis toute petite, j’attache des pagnes pour des tenues ou sur ma tête, je prends des pagnes pour mes pique-niques, je récupère des chutes de tissus pour en faire des objets, je porte mon fils avec… Le pagne fait entièrement partie de ma vie. D’ailleurs c’est le pagne qui fait partie de ma vie et non le wax hollandais, il existe de nombreuses fabriques de pagne Made In Africa. D’ailleurs, avec les pagnes de seconde main c’est vers ces tissus que je me tourne pour mes créations. Les cultures africaines ont su s’approprier le pagne (style wax) à merveille et le mélanger à nos traditions présentes plus anciennement sur le continent. Il est important pour moi de penser mon africanité au quotidien, bien sûr il ne faut surtout pas la restreindre au pagne, mais quitter celui-ci ne serait pas vraiment rendre compte de mon africanité visuelle.
L’art de se servir des tissus pour en faire tout ce que l’on veut je l’ai hérité de mon arrière-grand-mère selon ma grand-mère. Je porte mon fils avec l’un, j’attache l’autre sur ma tête et je me fais une jupe avec le dernier. Ce qui me fascine c’est l’élégance qu’un simple attaché de tissu peut avoir. Et ça fait partie des raisons pour lesquelles l’identité visuelle des mamas est si intéressante à mes yeux.

Mettre bébé au dos c’est un des symboles par excellence des mamas africaines. C’est un matrimoine culturel énorme. J’ai toujours rêvé de pouvoir porter mon bébé au dos. Porter mon fils au dos c’est découvrir qu’il existe quasiment autant de façon d’attacher un pagne que de pays en Afrique. Porter mon fils et pas que sur le dos c’est aussi découvrir que sur le continent africain on porte aussi de face et sur les côtés.
Mais porter mon fils au dos aujourd’hui c’est surtout sauver ma culture. Le portage en France a été très longtemps diabolisé au point d’être pratiqué en cachette ou même d’être abandonné… Aujourd’hui les bienfaits du portage ne sont plus à prouver, il est même à la mode. Malheureusement une multitude de marques et de monitrices se sont emparées du phénomène et véhiculent des biais racistes par leur ignorance ou même leur complexe de supériorité. Parce que le portage n’a rien d’une mode je m’immortalise en portant mon fils.

L’allaitement a été l’un des gros points de ma pratiques lorsque mon fils est né. Un allaitement exclusif c’est tout le temps et comme je travaillais avec bébé je m’immortalisais très souvent en allaitant. Et puis grâce à mes recherches et à mon expérience de maman allaitante. J’ai malheureusement découvert que l’allaitement est encore trop souvent instrumentalisé pour véhiculer des clichés racistes et conforter certaines personnes dans leur complexe de supériorité. Pire encore la désinformation sur l’allaitement tue délibérément des millions d’enfants dans le monde dont un grand nombre sur le continent africain. Remettre l’allaitement à sa place en tant que femme noire est pour moi essentiel. Alors l’allaitement est devenu un des sujets phares de ma pratique. Aujourd’hui après plus d’un an et demi d’allaitement, les tétées sont moins fréquentes et donc les images d’allaitement plus rare. Mais mon objectif ne tardera pas trop à immortaliser l’allaitement de nos mama.

Fancy mama étant devenu maintenant bien plus qu’un projet artistique aujourd’hui j’ai l’honneur d’organiser la Journée Internationale de la Femme Africaine. C’est une consécration pour moi de réunir plusieurs communautés africaines au sein d’une même thématique. D’organiser des conférences avec mes réflexions qui ont commencé avec de simples photographies. Nos mamans sont des sources intarissables d’informations et d’inspiration. Fancy mama les remets sur le podium. Dans une société où les stéréotypes prennent souvent le pas sur l’humain. Fancy mama joue avec ces stéréotypes et se les approprie.
Texte et photos par Krissima Poba.
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