NUIT NOIRE : comment être une marque responsable ?

pièces NUIT NOIRE

La première chose que me dit Moulaye pour se présenter est : “je suis né dans les années 90, les meilleures années (Pokemon, Dragon Ball z…)”. En plus d’être un fier 90’s kid, il est aussi le fondateur de la marque Nuit Noire, marque de prêt-à-porter haut de gamme/premium, créée en Alsace. Son parcours n’est pas typique, il s’embarque dans des études de com’ avant de se rendre compte que ce qui le passionne, c’est la création de vêtements. C’est pendant son CDD chez Noyoco (marque éco-friendly), qu’il se dit qu’il pensera sa marque de la même façon : éco-responsable et surtout responsable sociétalement parlant. Il nous en parle aujourd’hui. 

Comment on passe de la com’ à la création de mode ? Avais-tu une certaine sensibilité à cet univers ?

C’est ma soeur qui était dedans à la base et qui m’a un peu entrainé avec elle, au travers des friperies en premier lieu. Je me souviens qu’à 18 ans j’avais une chaine YouTube avec un contenu axé mode, que j’ai abandonné au bout d’un an pour me recentrer sur mes études. 

Est-ce que pour toi aussi le confinement a été l’accélérateur du lancement de ta marque ? 

Le confinement m’a permis de pas mal réfléchir, j’ai une petite soeur qui a un handicap sévère et mon père est décédé en 2016 donc ma mère était toute seule. J’ai pris la décision de rester chez moi où j’ai aussi mon atelier. J’ai également un pied-à-terre chez ma soeur à Paris,  et il y a aussi l’atelier qui produit mes pièces. Lorsque j’ai débuté, je faisais le premiers prototypes avec de la récup (friperie), et le second prototype avec les matériaux choisis. Puis j’apportais celui-ci à l’atelier parisien avec qui je faisais le prototype final avant production. Ce processus s’applique aux pièces les plus complexes que je ne peux faire au sein de mon atelier. Aujourd’hui j’ai le même processus, excepté pour le premier prototype que je crée via un logiciel. Pour ce qui est des pièces moins complexes, appelées « Additional pieces », tout est fait en interne, la production également.

C’est un peu comme 2nd Try moi de base j’ai pas vraiment d’expérience dans la mode mais ils m’ont tout de même donné l’opportunité de créer mes pièces en collaboration avec eux, malgré des clients tels que Balmain, la marque Vêtement etc. Une décision correspondant à mes valeurs d’ouverture et d’intégration. 

Une attache émotionnelle à l'environnement

Comment décrirais-tu l’ADN de ta marque ?

C’est compliqué ça, très compliqué. Disons que c’est une influence que j’ai eu depuis petit. Je ne vais pas te dire que je m’inspire de la nature, d’un pays ou d’une culture. Car finalement je suis au coeur de la nature depuis mon enfance. C’est davantage une atmosphère qui m’entraine à faire ce que je fais. J’ai toujours observé mon environnement, je me sens plus proche des animaux que des humains, j’ai toujours été très solitaire et recentré sur moi.

J’ai toujours aimé la nuit, j’suis beaucoup plus vivant la nuit, je travaille + la nuit, j’aime me poser, penser avec mon joint, je regarde les étoiles. En Alsace t’as toujours un ciel étoilé et c’est de là que m’est venu le nom de la marque. C’est toujours des nuits noires, très profondes sans lumière artificielle, t’es en pleine campagne. L’Alsace est très proche de l’Allemagne en écologie car on pense beaucoup à la biodiversité donc les lumières sont éteintes à partir d’un certain moment ou alors certains villages mettent de la lumière bleue un peu tamisée qui ne va pas venir perturber les insectes ou animaux comme les renards…

Toutes mes expériences de vie m’ont amené à créer ce que je fais aujourd’hui. Je dirais que c’est très organique, naturel, simple. Peut être comme une idée de ce qu’aurait été la mode si on n’était pas allé dans le consumérisme, dans le capitalisme.

On ressent aussi à travers tes pièces de lingerie ce besoin de retourner à l’essentiel.

C’est quelque chose de près du corps, qui ne va pas gâcher du tissu, qui ne va pas faire du volume pour faire du volume, qui va aller à l’essentiel, à l’habillement. 

Par quoi commence ta démarche éco-responsable dans ta marque ? 

Mes tissus et accessoires viennent de la France, Belgique, Suède, Allemagne et Suisse. Je fais ma production uniquement en France. Je veux créer à partir des meilleurs tissus possibles pour qu’ils aient le moins d’impact environnemental dans la durée. Attention, j’utilise du coton bio mais ce n’est pas écologique, ça prend beaucoup d’eau, la viscose de bambou pareil c’est très peu écologique parce que la viscose vient du bois mais il faut la créer par réaction chimique. Même les matériaux dits éco ne le sont pas entièrement. Je voudrais aller encore plus loin dans le fait d’utiliser des matières plus responsables et naturelles (chanvre, lin, ortie etc.). J’aimerais également diminuer mon utilisation en terme d’électricité en allant vers plus de cousu main, combiné à une utilisation plus modérée des machines à coudre électriques.

"Je pense qu'aujourd'hui les petites marques ont un nouveau et réel poids dans l'industrie, grâce aux réseaux sociaux en majorité, qui leur apportent une nouvelle visibilité. Si tu communiques de la bonne manière, tu peux avoir un vrai impact."

Tu fonctionnes au made-to-order, peux-tu nous expliquer pourquoi ? 

Je fais du made-to-order parce que je ne veux pas de stock. Je rassemble les commandes et procède à 2 expéditions par mois pour ne pas multiplier les envois et les émissions en CO2.
Dans cette optique, je demande à mes clients d’être patients, il nous faut, en tant que marques, les rééduquer (sans prétentions) en les intégrant au processus d’industrialisation et de commercialisation des vêtements afin qu’ils le comprennent et l’acceptent. Car le résultat en vaudra la peine, ces derniers ne se rendent pas compte de leur pouvoir sur l’industrie de la mode et il est de notre devoir de le leur rappeler.
Pour des pièces de meilleures qualités, qui tiendront dans le temps et qui seront produites par des personnes payées et traitées dignement.

Je suis encore dans la phase de réflexion de ce que sera la marque. Je ne veux pas faire que du vêtement, cette activité sera bien évidemment la principale, mais je souhaite également innover dans le textile. Avec des matières plus intelligentes, éco-responsables et ergonomiques, l’objectif ultime serait de pouvoir créer mes propres tissus en interne et allier à une production elle aussi 100% en interne. Dans un soucis de la diminution au maximum des parties prenantes, des déplacements, importations, exportations de matières premières et donc des émissions en CO2.

Comment faire passer un message éco-responsable quand on est une jeune marque ?

Je pense qu’aujourd’hui les petites marques ont un nouveau et réel poids dans l’industrie, grâce aux réseaux sociaux en majorité, qui leur apportent une nouvelle visibilité. Si tu communiques de la bonne manière, tu peux avoir un vrai impact.

"On est aussi le moteur d'un système, on peut l'embrayer comme on peut mettre de l'huile pour aller de plus en plus vite. Moi je préfère mettre un bâton."

C’est quoi la suite pour Nuit Noire ? 

Un défilé l’année prochaine, je présenterais tout ce que j’ai fait, je vais énormément miser dessus. Cette année là je vais déjà commencer à vendre, à mettre en place un plan de communication qui me permettra d’anticiper ce défilé là et j’ai déjà une idée. Ça pourrait me coûter quasiment rien, être d’une simplicité folle mais être une des plus belles expériences que je pourrais offrir parce que c’est dans un set en plein dans une montagne. C’est ma soeur qui a eu l’idée.

Comment conseillerais-tu les gens maintenant pour leur faire faire le switch pour mieux consommer ?

Je leur demande juste de se poser la question : est-ce que je cautionne les Ouïgours, le fait qu’au Sénégal, Cameroun, on leur envoie des habits à ne plus savoir qu’en faire et qu’ils les brûlent et inhalent des produits toxiques qui les tuent jeunes ou qui les handicapent eux et les générations d’après ?

En plus, on est dans une époque où il y a des alternatives qui font que tu n’as plus vraiment d’excuses. Si tu ne le fais pas tu auras quelque chose sur la conscience parce que tu n’auras même pas essayé. Je ne demande pas de changer du jour au lendemain, mais de commencer par consommer moins, d’arrêter de vouloir changer de vêtements pour toutes les occasions. Ensuite d’acheter des pièces plus simples pour les combiner, les redécouvrir, moins s’en lasser… comme un jeu de puzzle, il faut se ré-approprier les vêtements. En rendant une importance au vêtement on lui rend de la valeur et c’est ce que moi j’ai redécouvert dans les friperies. Tu prends plus de temps, tu ne sais pas ce que tu vas trouver, tu redécouvres une passion pour la mode et le vêtement. C’est une nouvelle façon de consommer et c’est passionnant.

Consommer moins mais mieux, plus cher avec des marques cool et responsables ou pas cher en allant en fripe. On est dans un système qui fait que c’est compliqué mais on est aussi le moteur d’un système, on peut l’embrayer comme on peut mettre de l’huile pour aller de plus en plus vite. Moi je préfère mettre un bâton.

Merci encore Moulaye pour l’interview ! 
Retrouvez Nuit Noire sur Instagram et le site Internet. 

Ecrit par Elena Gaudé.