RENDEZ LA BRETAGNE AUX BRETONS

Pour celles et ceux qui ne le savaient pas, je suis d’origine bretonne – même si, à la vue de ma pâleur, c’est assez facile à deviner. Si je vous dis “Bretagne”, vous devez sûrement penser au kouign amann, au caramel beurre salé ou encore aux crêpes et galettes. Mais c’est beaucoup plus que ça, c’est toute une culture et des années de résistance que la France a voulu effacer. Moi-même, je ne connaissais pas toute l’histoire et la culture de cette région. Je connaissais 2/3 mots bretons et certaines anecdotes de vie de mes grand-parents, comme celle de mon grand-père qui n’avait pas le droit de parler breton à l’école sinon il se faisait taper sur les doigts. Et aujourd’hui, je me pose plein de questions par rapport à cet héritage que je ne connais pas à cause de son effacement par la France. C’est pour ça que cet article me tenait beaucoup à coeur. 

LES ORIGINES DE LA CULTURE BRETONNE

Avant de parler de l’effacement de la culture bretonne, j’aimerais faire un saut en arrière pour vous parler un peu de l’histoire de cette région qui, fut un temps, était un pays. En faisant mes recherches, j’ai eu l’impression que même les bretons ne connaissaient pas si bien leur histoire. Certaines sources se contredisaient, mais j’ai réussi à trouver les bons éléments. Auparavant appelée Armorique, de la péninsule Armor (Are mor = pays autour de la mer), elle changera de nom entre le IVème et VIème siècle. C’est dû à 200ans d’immigration des Celtes du Sud-Ouest de la Grande-Bretagne, nommée Brittania à l’époque. On retrouve les Irlandais, les Gallois et Cornouaillais. C’est comme ça que naitra la Bretagne ou Petite Bretagne. 

La culture bretonne est donc fortement influencée par la culture celtique en commençant par sa langue, le breton (brezhoneg), mélange entre le cornique et le gallois qui se parle dans la Basse-Bretagne. J’ai également appris qu’il y avait une deuxième langue, parlée dans la Haute-Bretagne, appelée le gallo. Il s’agit d’une langue romane issue du latin et du vieux celtique armoricain, et qui a transmis quelques mots au breton. Le gallo est moins connu car considéré pendant longtemps comme un “patois”, un terme dépréciatif signifiant “sous-langue”. Si les deux langues de la Bretagne n’avaient pas été interdites, j’aurais sûrement appris le breton de mon grand-père et le gallo de ma grand-mère. En effet, mon grand-père vient de Brest et ma grand-mère de Quimper, mais elle a grandi à Rennes où mon père est né. Ça peut paraitre bête mais j’aurais aimé parlé la langue de ma famille paternelle. 

La culture bretonne, c’est aussi beaucoup de coiffes (chaque pays avait la sienne), dont la fameuse bigoudène, devenue un symbole de la région. La coiffe bigoudène est une coiffe vestimentaire de cérémonie en lin ou en coton, qui était portée par les femmes dans la région de Pont-l’Abbé. C’est d’ailleurs une bigoudène que l’on a utilisé sur la photo ci-dessus. J’adore ce genre de coiffe, j’ai d’ailleurs réalisé une bigoudène en maille lors de ma deuxième année en école de mode. Si vous regardez bien les photos de l’édito, vous la trouverez. 

En dehors de ses costumes et coiffes, la Bretagne, c’est aussi des symboles, comme l’hermine ou encore le triskell que vous trouvez un peu partout. Je dirais que l’hermine est au duc de Bretagne ce qu’est le lys au roi de France, deux symboles de pureté. Le triskell n’est par contre pas propre à la Bretagne comme l’est l’hermine, il appartient à la culture celtique bien que son apparition remonte à l’âge de bronze nordique.

Impossible de parler de la Bretagne sans parler de ses danses traditionnelles, pratiquées à l’époque par les milieux paysans jusque dans l’entre deux guerres. Elles font leur retour dans les années 50 sous la forme de fest-noz, un type de fête « revivaliste »,  afin de recréer ces rassemblements festifs de la société paysanne qui ponctuaient les journées de travaux collectifs. La grande majorité des danses se fait en groupe, en rond ou en cortège. J’ai participé à des petits fest-noz quand j’étais plus jeune, c’était très joyeux et plein de vie. Je me sentais un peu ridicule, c’est pas vraiment le genre de danse que je fais pendant mon temps libre, mais c’est chouette. Les costumes traditionnels sont ressortis pour l’occasion, la musique celtique est jouée à fond, c’est une ambiance chaleureuse.

L’EFFACEMENT PAR LA FRANCE

La plupart des gens ne le savent pas (sauf mes proches à qui j’ai raconté l’anecdote une vingtaine de fois) mais la Bretagne a été un pays pendant de longues années (depuis 845). Le territoire était d’ailleurs divisé en 9 pays : Léon · Cornouaille · Trégor · Vannetais · Pays de Saint-Brieuc · Pays de Saint-Malo · Pays de Dol · Pays de Nantes et Pays de Rennes. Plutôt pauvre, la Bretagne (sous l’autorité de ducs jusqu’au XVIème siècle) s’enrichit à partir du XVème siècle grâce à un commerce agricole et maritime florissant. Et des tensions vont alors éclater avec le royaume de France qui s’intéresse de plus en plus au duché… 

S’il faut retenir une figure emblématique dans la culture résistante de la Bretagne, c’est Anne de Bretagne. Mariée à 2 rois de France, elle s’est longtemps battue pour garder l’indépendance du duché. Malheureusement, lors de sa mort, le duché, qui était dans son contrat de mariage, revient à Charles VIII. Après de longues années de guerre et malgré le combat d’Anne, le l’édit d’Union scelle l’annexion du duché de Bretagne par le royaume de France. Ce processus se poursuit jusqu’à la Révolution française qui met un terme à l’autonomie de la province de Bretagne par la suppression de son Parlement (interdit de siéger).

Après la Première Guerre Mondiale, le breton, comme le gallo, atteignent leur maximum historiques de locuteurs. Cependant, la langue bretonne se heurte à une politique répressive menée dans les écoles, pour favoriser l’unité linguistique de la France. C’est à cette même période que les premières revendications nationalistes naissent et donnent lieu à la création du drapeau breton : le Gwenn ha Du (noir et blanc en breton) en 1925. Ses deux langues se font oublier et le français s’impose comme langue maternelle des Bretons lors de la seconde moitié du XXème siècle. C’est la génération de mes grands-parents qui se fait taper sur les doigts si elle parle breton à l’école.

Malheureusement les revendications nationalistes attireront l’oeil de Pétain pendant la Seconde Guerre Mondiale. Le gouvernement a peur d’une nouvelle indépendance de la région, celle-ci deviendrait un poids lourd politique et économique qui ferait de l’ombre à un état centralisateur. Pétain ne veut pas d’une région trop puissante qui puisse résister au gouvernement de Vichy et il décide d’amputer la Bretagne de la Loire-Atlantique.

La culture bretonne est invisibilisée. Ce phénomène, existant depuis le XXème siècle, se nomme la débretonnisation, définie selon Wikipdia comme le “fait de supprimer la langue et la culture bretonne.” Encore aujourd’hui, on y fait face dans certains coins de la Bretagne, avec des toponymes dont les noms deviennent francisés depuis 2016. L’exemple le plus récent remonte en 2019 32 voies ont été francisées dans le Finistère. Mais heureusement, la culture bretonne continue de résister.

LA BRETAGNE, ÇA VOUS GAGNE
(et comment la culture résiste encore aujourd’hui)

Pour lutter contre la débretonnisation, de nombreuses associations bretonnes ont été créées et militent pour continuer à developper la culture. Le précurseur est le mouvement breton, emsav. Il s’agit d’un ensemble informel d’organisations politiques, de syndicats, de groupes économiques ou d’associations culturelles soucieux de maintenir la culture bretonne.

La Bretagne reste une région résistante, et veut récupérer ce qui lui appartient. Elle a fait de nombreuses pétitions pour rattacher la Loire-Atlantique à la région. De nombreux élus ont d’ailleurs réitéré leur demande en début d’année. L’association Bretagne Réunie est particulièrement engagée sur ce sujet.

Malgré tout, la culture bretonne renait.  L’enseignement de la langue bretonne est de nouveau autorisé (de façon optionnelle) à l’école grâce à la loi Deixonne de 1951 mais les familles cessent de plus en plus de transmettre la langue à leurs enfants. C’est le domaine de la chanson qui donnera à la langue bretonne un nouveau souffle avec plusieurs chanteurs comme Alan Stivell ou Tri Yann. Un réseau d’écoles associatives, gratuites et laïques d’enseignement du breton, appelé Diwan est mis en place par l’État français en 1977. Le 4 octobre de la même année a été signée la Charte culturelle bretonne, un accord entre la République française et les conseillers régionaux de la Bretagne, officialisant l’existence d’une « personnalité culturelle » de la région.

En 1999, le Festival Interceltique de Lorient draine un public de plus de 500 000 visiteurs. Le Festival des Vieilles Charrues, créé en 1992 en centre Bretagne, est devenu en quelques années l’un des plus grands festivals français. 

J’ai remarqué, au cour de mes recherches les plus récentes, une certaine division dans la culture bretonne, entre ceux qui se basent beaucoup sur le passé et ceux qui se focalisent sur le futur. C’est la principale question qui tourne autour de la Bretagne du XXIe siècle : la transition entre le moderne et le traditionnel. C’est ce que j’ai voulu représenter dans l’édito “Rendez la Bretagne aux Bretons”.

Cet article me tenait beaucoup à coeur, je voulais vous partager l’histoire de mon héritage et l’apprendre par la même occasion. Je trouvais ça important de mettre la lumière sur une culture que la France a voulu effacer, comme elle sait si bien le faire avec les autres. J’espère que lors de votre prochain week-end en Bretagne, vous prendrez le temps de vous intéresser à la culture locale. Commencez déjà par faire la distinction entre les crêpes et les galettes. Les galettes c’est avec de la farine de sarrasin et les crêpes avec de la farine de froment. Arrêtez de demander des crêpes salées svp 🙂

Sur ce, comme dirait mon grand-père, bisous BZH.  

Crédits édito

DA : Elena Gaudé, Coralie Pinatel
Photography : Elena Gaudé, Coralie Pinatel
Model : Anna Tonaydin
Styling : Coralie Pinatel
Makeup : Elena Gaudé 

Écrit par Elena Gaudé.
SOURCES : Histoire de Bretagne, Auguste Dupouy ; bretagne.bzh ; geo.fr ; Ouest France ; Wikipedia ; lelephantrevue.fr