RERO, L’ARTISTE QUI JOUE AVEC LES MOTS


GALERIE BACKSLASH

L’article d’aujourd’hui est un peu particulier, car on vous propose une interview 2-en-1 de l’artiste Rero, qui se cache derrière l’exposition JOSEPH GRAND à la galerie Backslash à Paris. On vous fait donc découvrir l’expo, ainsi que les mots que l’on a échangés avec l’artiste.

VIA NEGATIVA, UN RETOUR À L’ESSENTIEL

On comprend sur le site de la galerie ce que signifie ce concept : “Nous sommes actuellement tous en situation de manque général, qu’il s’agisse d’un manque de contact, de vie professionnelle, de liberté. Avec ce nouveau corpus d’œuvres, Rero propose de changer notre façon de voir et de s’adapter plus concrètement à une situation nouvelle et déstabilisante à travers deux concepts proches mais légèrement différents : la Via Negativa et l’anti-fragilité.”
Bien qu’elle contienne le mot “negativa”, la Via Negativa nous apprend à nous recentrer sur l’essentiel, pour un mode de vie plus minimaliste. L’anti-fragilité, pour simplifier, revient tout simplement à transformer des éléments négatifs en  une force positive.

Pour illustrer ces concepts, l’artiste s’est inspiré du personnage Joseph Grand dans La Peste d’Albert Camus. Camus visait le fascisme qui se répandait comme une maladie, mais on peut y faire un certain parallèle avec le Covid, et ce que ces deux virus ont amené. “Se débarrasser, ou plutôt éviter ce qui n’est pas nécessaire devient pour Joseph Grand une révélation lorsqu’il finit par écrire la première phrase de son roman en la débarrassant de tout adjectif superfétatoire.” L’idéal recherché par Grand n’est pas tant celui où les mots auraient un lien direct avec ce à quoi ils renvoient dans le réel, mais celui des mots justes. Il renvoie au paradoxe classique du langage, à savoir cette volonté de décrire le réel le plus précisément possible mais en vain parce que le réel est justement inépuisable. 

Tout vient donc de l’idée d’avoir du mal à trouver les mots justes, et de vouloir simplifier. Ce qui est d’autant plus fort avec l’exposition de Rero, c’est qu’on y trouve une certaine similarité avec 2nd Try : Admettre que le premier essai ne peut pas être parfait, et se concentrer sur celui ou ceux d’après.

Ici, le drapeau “pas essentiel” qui se veut révolutionnaire en lien avec les lieux culturels fermés depuis trop longtemps et injustement. Il sert de parallèle avec la façade du CentQuatre recouverte de la même phrase. Drapeau symbolique, fabriqué par les mêmes fabricants des drapeaux de l’Elysée. L’ironie du confinement : le drapeau n’est pas dans le ciel mais l’inverse, le ciel est dans le drapeau, clin d’oeil à la vue de la fenêtre de l’artiste.

Oeuvre interactive, le mur d’escalade fait référence à l’escalade de la violence quand on manque de mots. La culture permet d’apaiser. Une fois bout à bout les mots forment une phrase tirée d’Alice au pays des merveilles : “If there’s no meaning in it, that saves a world of trouble, you know, as we needn’t try to find any. And yet, I don’t know.” 

Rero dira qu’au final, ce qu’il veut démontrer à travers cette exposition, c’est de “toujours s’améliorer, se perfectionner jusqu’à la fin et se dire qu’au final il faut simplifier parce que sinon on perd le sens des choses.” Un peu comme un deuxième essai finalement. Vous avez compris, j’apprécie le lien entre l’expo et 2nd Try.


UN ARTISTE QUI JOUE AVEC LES MOTS.

Pourrais-tu te présenter ?

Je suis Rero, je dis que je suis un artiste publique dans l’idée où j’interviens à la fois dans la nature, je ne suis pas un street artist ou urban artist, je ne m’interdis pas de contexte ou de lieu dans lequel je peux intervenir. J’interviens surtout dans du détournement de lieu où il n’y est pas censé avoir de l’art ou alors si c’est le cas j’essaye toujours de détourner un support.

Pourquoi les mots ?

J’utilise les mots parce que je trouve qu’ils sont accessibles pour tout le monde, on a un avis, un mot et on peut revenir dessus ou pas mais ça ne demande pas une certaine culture, d’avoir lu je ne sais pas combien de livres sur l’art pour avoir un avis. 
Après j’ai commencé à écrire mon nom, et je trouvais que, peut être parce que je n’avais pas les mots, j’avais besoin de mettre mon nom en avant, donc c’était “AURER” à l’époque, et c’est devenu Rero. Et puis j’ai commencé à intervenir avec des mots qui n’étaient pas les miens mais que j’employais, et de les mettre en situation alors j’ai commencé à intervenir dans des lieux. Au départ c’était des affiches dans les rues,  ensuite dans des lieux abandonnés et après en pleine nature. Maintenant c’est en fonction des lieux.

C’est quoi ton parcours artistique ?
A la base je faisais du graffiti, et c’est intéressant par rapport au nom de ton magazine “2ème essai” parce que j’ai fait un premier essai par rapport au graffiti, j’ai suivi un peu les codes New Yorkais des années 80 et je me suis rendu compte que ce n’était pas vraiment moi. Par contre ce que j’aime dans le graffiti c’est qu’on est intrusif donc je garde ce côté là, cette énergie, ce truc un peu spontané et je vais aller inscrire une typo, qui est tout sauf du style. Le graffeur normalement fait sa recherche de style pour avoir son identité et moi j’ai dit non, je vais prendre la plus sobre, la plus simple, la moins connotée, et le fait de la barrer et de la mettre dans un contexte, je vais créer des interactions qui vont créer un nouveau sens.

C’est intéressant parce que c’est presque l’histoire d’une standardisation, parce que c’est ça la contradiction : est-ce que la simplicité peut marquer l’époque ? C’est ce que je me demandais et en voyant des typos d’autres époques, peut être que la verdana c’est celle qui va marquer notre époque. On se dira qu’on avait besoin de standardisation à notre époque par rapport à la typo parce que la période était trop complexe. Et moi je suis dans cette histoire de vulgarisation. Pas dans le sens péjoratif, il ne faut pas simplifier ou être simpliste, mais il faut rendre lisible.
 Peut-être qu’il fallait tomber dans l’excès pour revenir en arrière et se dire on a déconné, donnons nous la chance de faire un nouvel essai. Je trouve que le Covid ça a été de se dire qu’on est mortel et qu’il y a des décisions à prendre et se responsabiliser.

Est-ce que tu te considères comme un artiste engagé ? Est-ce que ton art est une forme d’engagement ?

Je pense. Après je pense que même si tu peins des fleurs à notre époque, c’est un engagement. Quoi que tu fasses en art, si tu décides de fermer les yeux et de ne pas voir ce qui se passe, de toutes façons c’est aussi s’engager. Et moi à partir du moment où j’emploie les mots je sais pas je peux pas dire que je suis un artiste engagé mais un artiste qui prend part à la place publique, aux problématiques de l’époque. Et c’est en ça où je m’inscris.

Après je peux pas dire que je révolutionne, au contraire je pense que pour être entendu, il ne faut pas être trop extreme car si tu l’es les gens ne t’écoutent même plus et coupent le dialogue et moi mon objectif c’est de conserver le dialogue et d’essayer de faire changer l’avis de certaines personnes qui ont du pouvoir, mais qui ne seraient peut être pas amenées à regarder mon boulot. Je me dis que si j’arrive à les toucher, j’arriverais à faire changer les choses et c’est en ça où je pense que je suis activiste. Alors c’est peut être naïf mais je pense que ça fait changer les choses. L’art c’est réussir à dialoguer avec des gens qui n’étaient pas forcément d’accord avec toi et c’est ça qui est génial.

Tu as une prochaine expo à l’Aquarium, est-ce que tu pourrais nous en dire plus ?

Je m’étais dit qu’on pouvait intervenir dans le bassin des requins et celui des méduses pour questionner notre rapport à la mer alors qu’on est en plein Paris. Puis en plus il y a plein de polémiques par rapport à l’aquarium, c’est aussi un endroit où on enferme des poissons et moi je me dis que le fait de mettre ces poissons là, ça permet de sensibiliser et ça va peut être permettre de sauver les autres. Mais au fond c’est toujours une question de liberté : est-ce qu’il ne faut pas se sacrifier un minimum pour faire plaisir au maximum ? Au final c’est ça, c’est toujours cette problématique.

L’expo s’appelle “Immensité limitée”, c’est un oxymore qui permet de poser la question que tout est limité et que la planète n’est pas une exception, elle est limitée au même titre que nous. Je fais 13 interventions normalement, il y en aura une sur les murs, dans le bassin des requins… C’est un peu immersif, sur tout le parcours tu visites plein de continents et plein de mers différentes du globe et je vais intervenir et interagir avec et le vivant et le lieu de l’expo.

Merci Rero pour ces quelques mots échangés, et pour cette expo réussie !
Pour suivre le travail de l’artiste, rendez-vous sur son compte Instagram. Et pour voir son expo, direction galerie backslash sur insta pour pouvoir réserver une visite !

Écrit par Elena Gaudé.